L’ouverture et l’inclusion comme marqueurs de la capacité d’accueil des personnes immigrantes dans les régions du Québec
21 mai 2023
Michèle Vatz-Laaroussi
Si la régionalisation de l’immigration fait partie des discours politiques, tous partis confondus, depuis les années 1993 au Québec, la dernière décennie montre un regain d’intérêt, au moins dans le discours politique, pour cette question. Les raisons de cet intérêt ont peu varié au fil des années : besoin de travailleurs en région, de familles pour revitaliser la démographie vieillissante, renforcement du français parmi les immigrant-e-s et revitalisation socio-économique des milieux. On parlait de déghettoïser Montréal et si le terme n’est plus à la mode, on veut maintenant faire profiter toutes les régions des apports de l’immigration, mais aussi prévenir l’anglicisation des immigrant-e-s présentée comme un fait montréalais ou encore distribuer plus largement ces populations immigrantes sur le territoire québécois pour mieux le servir. On parle de la capacité d’accueil du Québec, des villes et des régions comme d’un élément incontournable pour gérer l'immigration et, pour certains, pour la limiter. On décrit le plus souvent cette capacité de manière matérielle en termes de manque (infrastructures, logements, transport...), mais aussi psychosociale en établissant des seuils d’immigration qui seraient tolérables pour les résidents locaux. Dans cette perspective, l’altérité, le « frottement » (Manço in Belkhodja et Vatz Laaroussi, 2012) à l’autre venu d’ailleurs est vu comme une perturbation voire une atteinte à l’identité québécoise locale. Il fait peur et on le veut le plus faible possible, voire le plus invisible ou inaudible. Pourtant c’est de ce « frottement » progressif, réitéré, formel et informel, accompagné et plus ou moins structuré, intériorisé par tous les acteurs du milieu, que naissent les processus d’ouverture et d’inclusion, mais aussi les succès de certaines villes ou régions pour accueillir, intégrer et s’enrichir de populations immigrantes qui y font leur place et s’y installent à long terme.
Nous proposons dès lors de regarder la capacité des milieux à intégrer des personnes immigrantes sous un autre angle, celui des processus d’ouverture et d’inclusion développés par ces villes et régions. Précisions d’abord que dans cette perspective, l’immigration en région ne concerne pas que les immigrants économiques à attirer, mais aussi tous ceux qui sont déjà sur place, les réfugiés et demandeurs d’asile, les travailleurs temporaires, les plus nombreux aujourd’hui, les étudiants internationaux, les conjoints et les familles des uns et des autres. Ainsi il semble intéressant de voir comment les régions développent des initiatives et des attitudes qui mettent les immigrants, de tous ces statuts, en position de choisir la région plutôt que d’y être propulsés ou contraints, comme des pions (Belkhodja et Vatz Laaroussi, 2012) qu’on pourrait facilement déplacer d’un endroit à l’autre selon les besoins locaux.
Par ailleurs parler d’inclusion signifie aussi que les régions sont prêtes et intéressées à accueillir des personnes et des familles qui vont avoir des besoins et des projets différents. Il s’agit d’intégrer chacun avec ses différences et pas de toujours chercher la conformité, la ressemblance comme seul vecteur d’insertion.
On comprend dès lors que développer des régions ou des villes inclusives les situe dans une dynamique qu’on devra appréhender qualitativement plutôt qu’au travers de chiffres et de statistiques. On le sait la notion de masse critique ne fonctionne pas quand on parle de personnes immigrantes en région, elle n’est jamais atteinte! Ainsi on ne doit pas attendre d’avoir un nombre fixe d’immigrants allophones pour ouvrir des cours de français quand on est en région, sinon les premiers arrivés repartiront avant d’avoir eu la chance de s’y inscrire…
Il faut donc plutôt s’intéresser aux processus d’inclusion à l’œuvre et nous proposons ici une échelle d’interculturalité, développée au cours de nos recherches sur l’immigration dans les régions du Québec (Vatz Laaroussi et al., 2013, Vatz Laaroussi, 2009, Belkhodja et Vatz Laaroussi, 2012), qui permet au travers de 5 niveaux d’évaluer le degré d’ouverture à l’autre dans une collectivité locale. Cette échelle pourra être utilisée comme un outil pour entamer des dialogues entre les acteurs locaux dont des personnes immigrantes sur l’ouverture et l’inclusion dans leur région, pour identifier les étapes passées, présentes et à venir et pour déterminer des objectifs et plans d’action visant à atteindre un niveau plus élevé d’interculturalité et une dynamique d’inclusion où tout le monde est gagnant.
Les niveaux d’interculturalité se déclinent comme suit.
Le degré 0 est celui de l’invisibilité de l’autre différent et de l’indifférence. C’est comme s’il n’y avait pas de diversité dans la région et s’il y en a, on ne veut pas la voir. Cette attitude se rapproche du processus de discrimination qui s’exprime par : « ici, on ne voit pas les couleurs, noirs ou blancs, c’est pareil ». Dans cette perspective, nier la différence, c’est nier les privilèges des uns et les désavantages et obstacles expérimentés par les autres, mais c’est aussi ne pas voir leurs projets, leurs besoins et leurs forces spécifiques. On comprend que ces collectivités n’attirent ni ne retiennent de nouveaux arrivants potentiels et peuvent aussi faire fuir ceux qui sont déjà arrivés.
Le degré 1 est celui de la curiosité, on s’intéresse à l’autre autour de ses différences, mais cette curiosité reste superficielle et ponctuelle. On veut savoir d’où il vient, quelle langue il parle, d’où provient son accent, comment il s’habille, mais on ne s’intéresse pas vraiment à qui il est, sa famille, son parcours, ses difficultés, ses besoins, ses forces et ses talents. Là encore la rétention est loin d’être assurée et cette attitude ne permet pas une réelle participation sociale et économique des personnes immigrantes. On commence cependant à développer une conscience culturelle.
Le degré 2 repose sur l’accueil de l’altérité. On s’intéresse à l’autre pour l’attirer dans la région et pour bien l’accueillir. On le voit différent culturellement et des relations interculturelles se développent au travers d’une sensibilité culturelle. Les acteurs locaux se situent en apprentissage de l’autre et s’attendent à sa participation, mais ne savent pas toujours comment la prendre en compte. En particulier on recherche les points de ressemblance et on veut faire avancer le Vivre ensemble et le développement socio-économique en se basant sur ce qui nous ressemble. Là encore les talents des personnes immigrantes et leurs apports spécifiques peuvent rester inexploités, ce qui entraîne des départs.
Dans le degré 3, on donne place à l’altérité. On développe des compétences interculturelles, on ne veut plus « faire du même, mais on veut développer du différent ensemble ». Il s’agit d’un travail de fond, à long terme, dans lequel tous les acteurs locaux, dont les migrants, anciennement et nouvellement installés, participent. Les différents secteurs rentrent en jeu, l’éducation, l’économique, le social, le politique. La collectivité locale démontre une volonté d’ouverture, d’inclusion et pas seulement de croissance ou de satisfaction de ses besoins en travailleurs. La participation des migrants est citoyenne au même titre que celle de tous les acteurs locaux, les migrants prennent des places diverses dans la localité et y contribuent.
Finalement le degré 4 est celui du projet local interculturel qui repose sur la contribution équitable et différenciée de toutes et tous, qui prend en compte les besoins, forces et spécificités tant culturelles, qu’éducatives, sociales ou économiques de chacun. Il s’agit d’une dynamique inclusive à long terme qui repose sur la participation citoyenne de tous et qui permet le développement social et économique de la région ou de la localité. Par contre des fonds récurrents et des structures démocratiques interculturelles sont nécessaires pour initier et surtout maintenir de tels processus qui enrichissent réellement les régions avec tous leurs acteurs, dont les personnes immigrantes.